Chartreuse de Bonnefoy

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Chartreuse de Bonnefoy
Chartreuse de Bonnefoy en 1818
Chartreuse de Bonnefoy en 1818
Existence et aspect du monastère
Identité ecclésiale
Diocèse Diocèse de Viviers
Présentation monastique
Fondateur dom Robert
Ordre ordre cartusien
Historique
Date(s) de la fondation 1156-1179
Fermeture 1794
Architecture
Styles rencontrés plan et style cartusien
Localisation
Pays Drapeau de la France France
Département Ardèche
Coordonnées 44° 52′ 12″ nord, 4° 10′ 35″ est
Géolocalisation sur la carte : France
(Voir situation sur carte : France)
Chartreuse de Bonnefoy
Géolocalisation sur la carte : Ardèche
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Chartreuse de Bonnefoy

La chartreuse de Bonnefoy, appelée aussi Notre-Dame de Bonnefoy, est un couvent du XIIe siècle fondé dans le Haut Vivarais à proximité du mont Mézenc. Située à 1 310 mètres d'altitude, cette chartreuse, la plus haute de France, fut en butte aux destructions de la guerre de Cent Ans et des guerres de religion, puis à un incendie au XVIIIe siècle. Ces avatars joints à un climat très rude contraignirent les chartreux à délaisser progressivement leur établissement pour s'installer à Brives-Charensac jusqu'à la Révolution française. Inoccupée et vendue comme bien national, la chartreuse fut démantelée à partir de 1840. Le seul vestige important encore intact est la maison du prieur avec la porte d'entrée de la chartreuse et la tour-clocher de l'église. Elle est actuellement en cours de restauration.

Fondation[modifier | modifier le code]

La chartreuse de Bonnefoy, fut fondée dans la deuxième moitié du XIIe siècle[1] quand, en 1156, Guillaume de Fay, dit « Jourdain », seigneur du Mézenc, fit don d'une partie de ses terres à l'ordre cartusien[2],[3].

Sur mandement de dom Basile, prieur de la Grande Chartreuse, arrivèrent dans les montagnes du Haut-Vivarais un groupe de chartreux venus de la maison-mère, conduit par dom Robert, leur futur prieur[4].

Privilège du pape Alexandre III, du

Les bâtiments de la chartreuse furent achevés en 1179[5]. Elle devint alors l'un des plus importants établissements de l'ordre de Saint-Bruno[6]. Le pape Alexandre III confirma cette fondation au mois de novembre de cette même année et mit la nouvelle chartreuse sous la protection du Saint-Siège[4]. Tout au cours de son existence, celle-ci fut richement dotée par les seigneurs du pays, protégée et enrichie par les papes et par les rois de France[6].

La redécouverte, à la fin du XXe siècle, du cartulaire de la chartreuse de Bonnefoy, dans le presbytère angevin de Cantenay-Épinard a permis d'affiner les connaissances sur la chartreuse de sa fondation jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Connu par un recensement des ouvrages de la bibliothèque, sa trace avait été perdue en 1790. Son étude a été publiée, en 1990, par Jean-Loup Lemaître, chercheur au CNRS. Le premier acte conservé est celui de la bulle d'Alexandre III datée du , elle précise que Guillaume Jourdain était le petit-fils de Raymond IV de Toulouse, marquis de Provence. Le cartulaire, qui compte 72 feuillets, a été rédigé par le même scribe entre 1229 et 1231. Il comporte quatre additions couvrant la période allant de 1255 à 1269. Ses 197 actes concernent majoritairement les transactions faites par les chartreux pour préserver leur désert ainsi que les droits concernant le passage, pâturage et pacage du bétail sur leur mense[7],[8].

Site[modifier | modifier le code]

Site de la chartreuse de Bonnefoy sur la carte Cassini

Située à 1 310 mètres d'altitude, dominée par les 1 753 mètres du mont Mézenc[9], le géant des volcans éteints du Vivarais[5], Bonnefoy, le monastère le plus élevé en altitude de l’Ordre, fait partie de ces premières chartreuses fondées en zone montagneuse[2].

Chartreuse de Bonnefoy, altitude 1310 mètres

Actuellement rattachée à la commune du Béage, la chartreuse est construite dans un vallon et avait initialement une mense couvrant 8 000 hectares. Ces terres furent désignées sous le vocable de désert car peu habitées et peu exploitées[10]. Conséquence, cette solitude ne permit jamais aux chartreux d'exploiter de grands domaines agricoles, à l'égal des granges cisterciennes[3].

De plus le climat de ce site est glacial et les chartreux eurent, dès leur installation, d'énormes difficultés à faire pousser des légumes (ortolailles) dans leurs jardins. Cela ne devint possible que lorsque le monastère obtint des terres plus méridionales et tempérées à Montpezat-sous-Bauzon. À contrario, la présence de la Veyradeyre, à proximité de la chartreuse, permit aux frères convers d'aménager des viviers afin d'élever des poissons[10].

Histoire[modifier | modifier le code]

Période médiévale[modifier | modifier le code]

Grenier à sel médiéval

Robert, premier prieur de la chartreuse, reçut, en 1179, de Guillaume-Jourdain, seigneur de Mézenc, la manse Del Motos, la moitié de Villevieille et de Ribelasse, le droit de pêche dans le lac d'Arconne, et beaucoup d'autres biens[6].

En 1184, Bertrand d'Anduze, seigneur de Sommières, fit donation à la chartreuse de Bonnefoy de dix saumées de sel à prendre annuellement dans la ville de Sommières, exempts de tous péages et autres droits[6]. Le sel, indispensable à la conservation des viandes, provenait des salines entre Maguelone et le marais de Peccais, et devait obligatoirement transiter par les greniers royaux d'où il sortait soumis à la gabelle. Sommières et Pont-Saint-Esprit étaient les deux greniers les plus proches du Massif Central. À partir de 1449, le grenier à sel de Sommières vivota et pour cesser de fonctionner au cours des années 1470 laissant la place à celui de Pont-Saint-Esprit[11].

Sous le priorat d'Odilon, au début des années 1190, Raymond V de Toulouse, prit la chartreuse sous sa protection et y fit bâtir une église. À la même période, le fils de Guillaume-Jourdain, Hugues, devenu seigneur de Mézenc, lui donna de grands biens. Ces dons se renouvelèrent au temps du prieur Guillaume de Fourchades, issu d'une maison noble du voisinage. Il reçut d'importantes donations d'Aymar de Poitiers et de sa femme Philippe, fille de Guillaume-Jourdain, et d'Armand, seigneur de Contaignet[6].

Le prieur Jean Lautuier acquit de Gérenton de Mézenc, les terres de Chaumène, des Effraits et de Vacheresse pour le prix de 3 500 sous du Puy. Albert de Jaujac donna, la même année, à la chartreuse, le village de Térisse avec ses dépendances et une rente de vingt livres. En 1219, Pons, seigneur de Montlaur, et Miraille, son épouse, cédèrent tous les droits qu'ils possédaient dans les limites de Bonnefoy[6].

Borée, Le Béage, Les Estables et la Chartreuse de Bonnefoy sur la carte Cassini

Guillaume de Burine, fils de Guigue, confirma les donations faites par son oncle Hugues de Mézenc, à Bonnefoy, et se vit octroyer 30 livres à titre de gratification. En 1223, le prieur Jaucelin fit confirmer la vente consentie par Gérenton de Mézenc à son prédécesseur. Il reçut de Hugues, seigneur de Burzet, et de Chaberte, son épouse, tout ce qu'ils possédaient aux Estables en alleux, fiefs, cens et rentes, « à la charge pour le prieur de donner un repas chaque année aux religieux, le jour de l'octave de Saint-Michel », les donateurs ajoutèrent une rente annuelle d'un demi-muid de vin. Cette donation, à la prière du seigneur de Burzet, fut approuvée et scellée par Étienne de Chalençon, l'évêque du Puy. En 1229, Chabert, seigneur de Contaignet, et ses deux fils, donnèrent à Bonnefoy le manse de Freycenet, et divers droits dans la forêt de Serre-Moret[6].

En 1249, la comtesse de Valentinois, Philippine de Fay, dernière fille du fondateur de la chartreuse de Bonnefoy, confirma toutes les donations de sa famille et y ajouta de nouvelles libéralités, « à la charge d'un anniversaire qui se célébrerait le lendemain de la décollation de saint Jean-Baptiste, jour de repos de l'âme de feu Guillaume Jourdain, son père ». En I25l, Pierre Ythier, seigneur de Géorand, concéda aux religieux le droit de pêche dans le lac d'Issarlès et « un jet sur le rivage dudit lac, appelé lou Pal de la Cabote[6]. ».

Raimond Olivier, prieur, échangea avec Aymar de Poitiers-Valentinois la rente de 40 sous accordée aux chartreux par ses prédécesseurs, « à prendre sur la leude de Privas, à charge, pour le prieur, de traiter honorablement ses religieux et de leur donner un repas le jeudi saint de chaque année ». En échange, le prieur reçut la moitié du mas de la Vacheresse. Pons, baron de Montlaur, par son testament du , fonda dans l'église de la chartreuse la chapelle dite de Montlaur, dotée d'un revenu annuel de 15 livres[12].

En 1323, le prieur Pierre Raimond acensa le bois de Clergeat. Il exigea des habitants du Monastier et des Estables en échange du droit de pâture qu'il leur accordait, que soit remis à la chartreuse, à la Saint-Michel, une censive d'un carteron de fromage par homme[12],[13]. Jean Birelle, futur général des chartreux, fut prieur de Bonnefoy après avoir fait sa profession et vécu à la chartreuse de Glandier.

En 1334, Guillaume de Poitiers-Valentinois, seigneur de Fay et de Mézenc, fit une fondation de 20 sous annuels pour un anniversaire, le jour de la Conversion de saint Paul. Son parent, le prieur Jean de Fay, en 1340, fait vérifier par le juge royal du Velay les divers privilèges de franc-salé que la chartreuse de Bonnefoy avait obtenus des principaux seigneurs du Midi[12].

Au mois de , par lettres patentes datées de Villeneuve-lès-Avignon, le roi de France, Jean II, prit sous sa sauvegarde et protection le prieur et la chartreuse, et confirma leurs droits et privilèges. Le prieur Guillaume Loup transigea, le , avec les tenanciers de la chartreuse sur le mode de paiement de leurs rentes[12].

En 1396, le prieur de Bonnefoy était partisan de Boniface IX et son général Boniface Ferrier, tout comme son frère Vincent Ferrier, reconnaissait Benoît XIII qui siégeait à Avignon. Gautier de Châteauneuf, ayant réunis tous les papiers de sa chartreuse, les envoya à Rome. Il fut déposé, « déclaré inhabile à exercer des fonctions dans l'ordre, mis en pénitence et condamné à manger à terre une fois le mois[12]. ».

Jean Sarrasin, prieur, obtint le des lettres patentes de Charles VI, confirmant les privilèges de la chartreuse[14].

Au cours de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, sous le prieur de Mortemart, Jean de Montravel, dit l'Hermite, seigneur de Mézenc et d'Argental, qui venait de faire réparer son château de Mézenc, donna aux chartreux le quatrième étage de sa tour pour s'y réfugier et y déposer leurs joyaux et meubles en temps de guerre[14]. Cette offre est bientôt suivie de celle faite en 1442. Les religieux de la chartreuse se virent confirmer le don d'une tour du château du Béage, dite grenier de Bonnefoy, pour s'y réfugier en temps d'attaque et y déposer leurs biens[15]. Le prieur Jean Vincent acquit, en 1445, divers fonds et rentes à Saint-Martial, Chueyts, Montpezat et Aubenas. Ces acquisitions furent amorties par lettres de Jean d'Estampes, trésorier général du roi en Languedoc, contre le payement de 20 livres[14].

Le , la Chartreuse fut pillée et dévastée par les routiers, mercenaires congédiés au cours d'une trêve de la guerre de Cent Ans[16],[10],[9].

Guerres de religion[modifier | modifier le code]

Le prieur Pierre de Talaron obtint des lettres de sauvegarde de François Ier, renouvelant tous les privilèges accordés à Bonnefoy par ses prédécesseurs. Puis, sous le priorat de Jean Volle, le même roi déchargea les chartreux des impositions que les évêques de Viviers avaient mises sur le couvent, et de l'aide accordée au roi en 1523[14].

Bourlatier, en 1543, eut ses droits de justice vendus par Louis de Lestrange, pour 300 livres, aux Chartreux de l'abbaye de Bonnefoy. Située entre Les Estables et Le Béage, c'était la maison forte d'une ancienne baronnie, incluse dans la seigneurie de Boulogne[15]. En 1551, Jacques de Tournon, seigneur de la Chèze et de Contaignet, lui fit abandon à la chartreuse de divers territoires, qui furent ensuite délimités par Jean Eschalier, dit de Liossac, bailli de Contaignet[14].

Calvinistes attaquant un couvent
Chartreux en tenue de sortie

Au XVIe siècle, pendant les guerres de religion la chartreuse se trouvait à la frontière des pays catholique et protestant[10]. Les guerres de religion faisant rage, le prieur Antoine Chamard se mit en état de la fortifier en détruisant, avant 1561, le grand cloître qui ne fut jamais reconstruit. Cela n'empêcha pas la chartreuse d'être prise par surprise le [14],[9].

Sur ordre de Henri de Navarre et de Henri de Condé, cinquante soldats sous les ordres du capitaine Philippe Charreyre, s'emparèrent de la chartreuse de Bonnefoy. Comme de solides murailles et un fossé profond le défendaient « Charreyre fit d'abord embusquer ses soldats, puis demanda à parler au prieur Antoine Chamard, dont il était fort connu, et qui lui ouvrit les portes du couvent sans méfiance. Alors, appelant ses soldats, ceux-ci accoururent, massacrèrent le prieur et trois religieux qui s'efforçaient de refermer les portes ; après quoi ils occupèrent la chartreuse, retenant les autres moines prisonniers[17]. ».

Frère donat

Pierre de Châteauneuf, seigneur de Rochebonne, sénéchal du Puy et gouverneur du Velay, averti de l'évènement par un domestique de la Chartreuse, fit battre le tambour au Puy, rassembla des troupes, auquel se joignirent un certain nombre d'habitants, et, quatre jours après la prise de la Chartreuse, s'avança de nuit et pénétra dans la chartreuse par une porte dérobée, que lui ouvrit un domestique, et massacra Charreyre et la plupart de ses soldats surpris dans leur sommeil. On montre encore de nos jours la place où leurs cadavres furent ensevelis et qu'on nomme le trou des huguenots[17]. Cet affrontement entre huguenots et l'armée royale se termina par un incendie qui brûla la chartreuse[16]. À la suite de ces troubles, la chartreuse, dont les revenus s'élevaient à 50 000 livres[17], reçut une garnison de quinze hommes de guerre, que le duc de Montmorency porta à vingt. Cette garnison devait être entretenue aux frais des chartreux, obligés eux- mêmes d'y faire le guet[14]. En 1606, on construisit une tour ronde au nord-ouest pour soutenir et appuyer l'église et l'ensemble des bâtiments qui menaçaient ruine de tous côtés après l'affrontement entre catholiques et protestants. Les travaux furent d'importance puisqu'en 1622, ils n'étaient pas achevés[9].

Entretemps, le , le noble André Verdier de la Vacheresse, paroisse des Estables, fit entre les mains du prieur Antoine de la Fallu, l'abandon plein et entier de ses biens à condition d'être reçu au monastère en qualité de donat[14].

Au nom de la chartreuse de Bonnefoy, le prieur François de Lingende, reçut le , de Juste-Henri de Tournon, baron de Chalençon, l'investiture de la seigneurie de Mézenc et des Estables. Elle avait été acquise le par Claude Janot, son prédécesseur, aux nobles Claude et Christophe de Chamalzel[14].

En considération des grandes pertes qu'avait subie la chartreuse pendant les guerres civiles, Louis XIII accorda à Bonnefoy « tous les biens, meubles et immeubles du seigneur de la Tour Panissac et du capitaine la Brugière, confisqués pour crime de rébellion ». Cette donation fut formalisée le . Le prieur Pierre Maignet obtint de ce roi des lettres d'exemption du logement des gens de guerre. Elles furent données à Grenoble, le [14].

Période moderne : incendie et évènements révolutionnaires[modifier | modifier le code]

Confort rudimentaire d'une cellule de chartreux

En accord avec Henri de Bourbon, prince de Condé, les chartreux de Bonnefoy, lassés des mauvaises conditions de vie qu'ils subissaient, pensèrent à s'établir à Moulins où ils avaient déjà acquis une maison dans les faubourgs de la ville[18]. Cette fondation fut autorisée, le , par Bruno d’Affringues, le général des chartreux, et les premiers religieux commencèrent à s'installer dans leurs nouvelles cellules. Ce transfert ne convint pas à Louis de la Baume, évêque de Viviers, qui interdit par lettre, datée du , au prieur dom Maignet de déserter Bonnefoy. Cette opposition fit échouer le projet[14]. En 1627, Just de Serres, évêque du Puy-en-Velay, cèda la maladrerie de Brives et ses biens aux pères chartreux[19]. En 1628, une partie des chartreux se retira près de la maladrerie de Corsac, à Brives-Charensac[20].

Sous le second priorat de François de Ligende, un incendie se déclara dans la chartreuse, le [14]. Il ravagea entièrement les bâtiments[10], ainsi que la plus grande partie que des meubles, de la bibliothèque, des titres, des documents et des papiers du monastère qui furent la proie des flammes[16]. Il ne resta debout que les murailles[14]. Tout fut à reconstruire. Les travaux de restauration furent menés rapidement puisque les nouvelles toitures furent achevées en moins d'un trimestre, juste avant la tenue du chapitre général à la Grande Chartreuse[9]. Claude de la Roche, prieur, requit Marcellin Besson, juge des Estables, pour vérifier et inventorier les titres et papiers qui avaient échappé à l'incendie du couvent. Cet inventaire fut achevé le [14].

Chartreuse de Villeneuve-sur-Loire à Brives-Charensac

Le , la quasi-majorité des chartreux quitta définitivement Bonnefoy. Ils furent accueillis par la famille de Polignac qui les installa dans leur château de Villeneuve-de-Corsac où ils restèrent jusqu'à la Révolution[20].

La reconstruction des bâtiments après l'incendie avait été faite trop rapidement. À tel point qu'en 1722 tout fut à reprendre[9]. Les premiers travaux de consolidation achevés, en 1723, ce fut le devant de l'église qui fut refait à neuf. Les travaux s'étalèrent sur une année[10],[9]. La chartreuse fut rebâtie comme une forteresse munie d'une salle des gardes et d'une armurerie[21].

Au cours des années 1720, Bonnefoy reçut la visite de dom Maurin, le prieur de Paris. Le chartreux parisien fut horrifié quand il vit les villageois du désert auxquels il ne trouva pas figure humaine et qu'il compara à des brutes. Ce fut un constat identique que fit Juste Prévost, chartreux exilé de Paris, qui arriva à la chartreuse en 1723. Il n'y trouva que sept moines dont trois à demi fous[22]. Les travaux de restauration de la chartreuse furent considérés comme achevés cinq ans plus tard[1].

Chartreuse de Bonnefoy

Pourtant, il fallut à nouveau intervenir[16], le petit cloître s'étant écroulé dès 1728. Sa restauration dura deux ans. Puis, en 1733, un escalier de pierre, réclamé en 1724, fut réalisé. Ce vaste chantier resta inachevé jusqu'à la Révolution. Le , le procès-verbal d'inventaire de la chartreuse précisait que « cette maison de Bonnefoy ne peut loger que neuf religieux, le reste de la maison n'étant pas fini de bâtir[9]. ». Mais les temps avaient changé. Les autorités civiles et religieuses constatèrent que le climat y était si rude qu'il y neigeait toute l'année et que tous les bâtiments devaient être chauffés même pour la Saint-Jean[21].

Ce ne furent pas les évènements révolutionnaires de 1789 qui lui portèrent le dernier coup, l'ordre des chartreux étant même représenté à l'assemblée constituante par dom Gerle[5]. D'ailleurs, à la fin du mois d', le district d'Aubenas fit parvenir un rapport urgent au Comité ecclésiastique pour lui demander d'envoyer un détachement de 15 hommes de troupe pour empêcher que la chartreuse, où il ne restait que quelques moines, ne fût pillée[23].

De 1791 à 1794, les domaines furent vendus comme biens nationaux[16],[24], les derniers religieux quittèrent Bonnefoy[9].

Restes des bâtiments de la chartreuse après un demi-siècle de démolition

En 1819, une gravure montre les bâtiments encore entiers[16]. Les nouveaux propriétaires s'étaient d'abord contentés d'exploiter les forêts qui dépendaient de la chartreuse. Après avoir tenté vainement de les revendre, les bâtiments furent démantelés par l'acheteur[5].

La chartreuse commença à être dépecée dans les années 1840, ses pierres vendues, jusqu'au portail de l'église[9], avec ses ornements d'architecture, les autels et les stalles des chartreux, et même les pierres de taille qui encadraient les fenêtres[5]. Elle servit de carrière de pierres de construction pendant plus d'un demi-siècle. Seuls le clocher, le centre de la façade avec son portique et les murs latéraux de l'église ont subsisté. Le clocher a été restauré en 1890. La maison du prieur est toujours en bon état et utilisée par les propriétaires successifs[16].

Conflits avec les autres abbayes et seigneurs laïcs[modifier | modifier le code]

Chartreux en tenue ordinaire
Frère convers

Malgré les limitations imposées à l'extension au désert, leur domaine initial, les chartreux furent rapidement en concurrence avec les autres abbayes et monastères possessionnés dans la montagne ardéchoise. Tout d'abord avec les cisterciens d’Aiguebelle ainsi qu'avec ceux de Mazan, puis avec les bénédictins de Saint-Chaffre au Monastier, enfin avec les Augustiniens du Prieuré de Charay. Ces conflits d'intérêts étaient inévitables étant donné la densité des menses monastiques tout autour des sources de la Loire[1].

En 1179, le prieur Robert, dès sa prise de fonction, transigea avec l'abbé d'Aiguebelle sur les limites respectives des pâturages que les deux monastères possédaient dans les paroisses des Sagnes et de Sainte-Eulalie. Cet accord fut conclu par l'entremise du prieur du Val-Sainte-Marie et de Girard, convers de la chartreuse[6].

Tribunal arbitral jugeant un conflit entre des ordres religieux

Les conflits territoriaux furent plus constants avec les moines du Monastier-sur-Gazeille. Jarenton de Servissas, prieur, traita avec Bernard d'Arsas, abbé de Saint-Chaffre, du rachat des dîmes que l'abbaye prenait sur certaines terres de la chartreuse, pour la somme de mille sous du Puy. On voit par une autre charte que Pons, seigneur de Montlaur, paya lui- même à Saint-Chaffre cette somme de mille sous dont il fit donation aux religieux de Bonnefoy. Puis, sous le priorat de Guillaume d'Aix, il y eut une sentence arbitrale entre l'abbaye de Saint-Chaffre et la chartreuse de Bonnefoy pour la fixation des limites de leurs propriétés respectives[6]. Enfin, le prieur Antelme de Turcy transige, en 1267, avec le cardinal de Bourg, archevêque de Narbonne et abbé de Saint-Chaffre, au sujet de la forêt de Lafont, dont la superficie est évaluée à 973 cartonnâtes soit environ 200 setérées[12].

En , Raimond, le prieur de Charay, à Privas, vendit au prieur de Bonnefoy les terres possédées par son prieuré à Chamaury, un lieu-dit sis aux Estables[25]

La chartreuse transigea par deux fois avec l'abbaye de Mazan. La première fois, quand le prieur Guillaume de Fourchades s'accorda avec Philippe, abbé de Mazan, sur les limites des pâturages que les deux maisons possédaient dans les environs de la montagne de Mézenc[6]. Puis sous le priorat de Guérin de Salency, pour régler un différend avec Raimond, abbé de Mazan, au sujet de certaines propriétés sur lesquelles les deux maisons prétendaient avoir des droits. La contestation se termina en 1308 par l'arbitrage de noble Hugues de Talaron, bailli de Fourchades[12].

Le prieur Ancelin de Ravel transigea avec Guillaume de Poitiers-Valentinois, touchant les droits de justice et de suzeraineté sur les hommes et les terres de la chartreuse[12].

Sous le priorat de Jean de Crémial, la chartreuse eut à soutenir un grand procès contre Guillaume de Contaignet, qui disputait aux religieux la justice du lieu de Veiradeyres. Condamnés par le juge royal du Velay, au siège de Montfaucon, à une amende de 1 000 livres pour avoir fait abattre les fourches plantées à Veiradeyres par les hommes du sire de Contaignet. Les chartreux firent appel, en 1335, devant le sénéchal de Beaucaire, Philippe de Prie, qui cassa la sentence du juge royal du Velay et confirma les religieux dans leurs droits de seigneurs justiciers des localités dont il s'agissait[12].

En 1408, les moines de la Chartreuse de Bonnefoy firent appel d'une ordonnance du seigneur du Mézenc, les obligeant à verser 400 livres pour l'entretien de son château[15]. Le prieur Étienne Volle refusa, en 1478, de rendre l'hommage exigé par Aymar de Poitiers-Valentinois, seigneur de Saint-Vallier, hommage dont les prieurs de Bonnefoy avaient été exemptés par ses prédécesseurs, les anciens comtes de Valentinois. Il obtint, en 1481, des lettres patentes de Louis XI, par lesquelles le roi exonéra les chartreux des tailles que les consuls d'Aubenas leur avaient imposées pour les biens qu'ils possédaient dans cette ville. Le , le roi Charles VIII accorda à la chartreuse des lettres patentes « défendant à tous officiers de guerre de loger leurs soldats dans les maisons, granges et dépendances de Bonnefoy et de prendre des fourrages et des denrées sur les terres de ce couvent[14]. ».

Architecture[modifier | modifier le code]

Plan cavalier d'une chartreuse des Combrailles identique à celui de Bonnefoy
Tour de l'église surmontée de sa croix de bronze
Cave voûtée de la chartreuse fouillée dans les années 1960

La chartreuse de Bonnefoy a été construite sur le même plan que ceux de toutes les chartreuses de France[5], elle comprenait une maison haute et une maison basse[3]. Les ruines actuelles datent du XVIIIe siècle, quand la chartreuse fut restaurée après l'incendie qui ravagea les bâtiments[2].

Restent seules intactes la maison du prieur et le pavillon d'entrée avec son portique, aux lignes pures et classiques. Les vestiges révèlent encore la façade principale reconstruite au XVIIIe siècle, le clocher de l'église surmonté d'une croix en bronze de 7 mètres de haut[2]. Se distinguent aussi les restes des bâtiments où se trouvaient les cellules des chartreux, et notamment celle du prieur[1], où on remarque de belles boiseries d'époque Louis XIV, l'alcôve et le passe-plat du prieur ainsi que la bibliothèque qui a conservé ses rayonnages mais pas ses livres[9].

D'autres vestiges sont plus difficiles à trouver comme les restes de la maison Basse, ou résidaient les convers, religieux chargés des travaux manuels, ou encore les imposants viviers[1] et quelques spécimens de plantes introduits il y a 800 ans[2]. Il est à noter que l'église du Béage, dédiée à saint Pierre et construite en 1862, possède une croix de cuivre repoussé et émaillé, provenant de la chartreuse[1]. Des travaux de restauration ont été entrepris dans la chartreuse depuis 2004 par la Société de Sauvegarde des Monuments Anciens de l'Ardèche. Ils sont divisés en plusieurs campagnes ; la première, actuellement achevée, a concerné la réfection du mur ouest de l'église[9].

Visite[modifier | modifier le code]

Le site est une propriété privée et ne se visite qu'en groupe accompagné durant juillet et août[2].

Liste des Prieurs de la chartreuse de Bonnefoy[modifier | modifier le code]

Il y a 84 prieurs répertoriés, 83 dans Histoire du Languedoc par le mauriste Dom Vaissette[26]. plus, un prieur de la seconde moitié du XVIIIe siècle par l'historien Jean-Claude Mermet[27].

Les 84 prieurs répertoriés de la chartreuse de Bonnefoy
Prieur Année Prieur Année Prieur Année Prieur Année
Robert 1156 Ancelin de Ravel 1299-1302 Bertrand de l'Host
second priorat
1398 Pierre Fazandier 1577
Jean 1183 Jean de Cremelin 1304 Guillaume de Rumilhon 1406 Mathieu Malescot 1578
Jarenton de Servissas 1187- II89 Hugues Guinenam 1306 Jean Vincent 1409 Joachim Bresnaud 1583
Odilon 1190 Guérin de Salency 1307-1309 Jean Sarrasin 1409 Anthelme Fournier 1584
Guillaume de Fourchades 1197-1201 Guillaume d'Amplepuy 1310 Nicolas de Mortemart I412 Jean de Laval 1587
Odilon Alféran 1215 Pierre Raimond de Goschalk 1315-1332 Jean Vincent
second priorat
1416 Raimond Audibert 1588
Jean Lautuier 1216-1220 Jean de Crémial 1333-1335 Pierre Ferréol 1424 Anthelme Fournier
second priorat
1591
Jaucelin 1222 Jean de Fay 1340 Guillaume de Rumilhon
second priorat
1426 Antoine de la Fallu 1595
Gilbert 1225 Guigues Raitlet 1344 Bernard de Montferrand 1428 Pierre Druis 1604
Armand 1227 Jean de Fay
second priorat
1353 Jean Vincent
troisième priorat
1431 Claude Janot 1606
Guillaume d'Aix 1228 Raimond de Coquiset 1358 Jean Bottet 1438 Jacques Bournot 1610
Guillaume d'Alconat 1240-1252 Jean du Breuil 1359 Jean Vincent
quatrième priorat
1444-1453 Claude Janot
second priorat
1616
Liautaud 1256 Guillaume Loup 1362-1366 Georges Guiguemen 1446 François de Lingende 1620
Étienne 1260 Martin Raimond 1370 Jacques Valentin 1449 Pierre Maignet 1622
Anthelme de Turcy 1267 Guillaume de Montarel 1373 Jean Bottet
second priorat
1449 Robert des Marins 1636
Martin 1270 Nicolas de Melis 1377 Étienne Volle 1468-1492 François de Lingende
second priorat
1645
Raimond Richard 1271 Martin Raimond
second priorat
1379 Pierre de Talaron 1502-1517 Louis Hodon 1656
Lambert 1276 Dominique du Puy 1383 Jean Volle 1517-1538 Nicolas Dubois 1658
Raimond Olivier 1279-1284 Bertrand de l'Host 1391 Simon Chane 154I-1551 Claude de la Roche 1669
Pons de Saletas 1289 Dominique Reynier l395 Antoine Chamar 1551 Anthelme de Turcy 1679
Hugues de Modiac 1292-1293 Gautier de Châteauneuf 1396 Jean Barre 1570 Dom Maignial 1777

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d e et f Chartreuse de Bonnefoy sur le site Pays des sources de la Loire
  2. a b c d e et f Chartreuse de Bonnefoy, trésors architecturaux et culturels
  3. a b et c Journée de patrimoine à la chartreuse de Bonnefoy
  4. a et b Pierre Cubizolles, op. cit., p. 127.
  5. a b c d e et f La Chartreuse de Bonnefoy sur le site nemausensis.com
  6. a b c d e f g h i j et k Dom Vaissette, op. cit., p. 648.
  7. Le cartulaire de la chartreuse de Bonnefoy sur le site Persée
  8. Le cartulaire de la chartreuse de Bonnefoy
  9. a b c d e f g h i j k et l La chartreuse de Bonnefoy, patrimoine de l'Ardèche
  10. a b c d e et f La chartreuse de Bonnefoy : grandeur et décadence d'un monastère
  11. L'organisation du commerce du sel en Languedoc
  12. a b c d e f g h et i Dom Vaissette, op. cit., p. 649.
  13. Le fromage en Vivarais sur le site theses.univ-lyon2.fr
  14. a b c d e f g h i j k l m n et o Dom Vaisette, op. cit., p. 650.
  15. a b et c La traversée des Cévennes : le Vivarais
  16. a b c d e f et g Ancienne chartreuse de Bonnefoy sur le site patrimoine-religieux.fr
  17. a b et c Histoire des protestants du Vivarais et du Velay
  18. Lefebvre, F.A., Saint Bruno et l’Ordre des chartreux, t. 2, Paris, Librairie catholique internationale, , 682 p. (lire en ligne), p. 366.
  19. « Transaction entre la Chartreuse de Brive et le chapitre de l’église Notre-Dame du Puy », Tablettes historiques de la Haute-Loire,‎ , p. 140 (lire en ligne, consulté le ).
  20. a et b Pierre Cubizolles, op. cit., p. 128.
  21. a et b Anonyme, op. cit., p. 133.
  22. Anonyme, op. cit., 134.
  23. « Fleur du désert » : dom Éphrem Coutarel, un chartreux en révolution, Annales de la Révolution française
  24. Georges Vignal, « Vente aux enchères, en 1791, du lac d’Arcone, bien national », Les cahiers du Mézenc, Privas, t. cahier n° 32,‎  : le lac de Saint-Front, que l'on appelle aussi lac d'Arcone, appartenait alors à la chartreuse de Bonnefoy
  25. Histoire de Chamaury
  26. Dom Vaissette, op. cit., pp. 648 à 652.
  27. Jean-Claude Mermet, Une longue traque, Cahiers du Mézenc

Annexes[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]